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Mes commentaires sur la Politique sur l'utilisation et le développement des logiciels et du matériel libres (texte, PDF) dévoilée par la Ville de Montréal mardi le 15 mai 2018.


Général

L'annonce de la Politique sur l'utilisation et le développement des logiciels et du matériel libres de la Ville de Montréal a été reçu positivement par FACiL. Heureusement, après avoir lu la politique dévoilée suite à l'annonce du 15 mai à l'hôtel de ville de Montréal, où FACiL était représenté, nous n'avons pas changer d'avis. Globalement, dans son esprit général, et aussi dans le détail de ses objectifs, de ses orientations et de ses principes directeurs, il s'agit selon nous d'une bonne politique.

L'intention du législateur, telle qu'exprimée par la bouche du responsable de la ville intelligente, des technologies de l'information, de l'innovation et de l'éducation supérieure, M. François Croteau, est également encourageante. FACiL n'avait à ce jour jamais entendu d'élu haut placé dans le pouvoir exécutif d'un gouvernement situé en sol québécois dire devant les caméras que les logiciels libres sont avantageux par rapport aux logiciels non libres car ils facilitent le partage de solutions réutilisables par les administrations publiques. Jamais non plus nous n'avions entendu une personne en position de donner des orientations politiques parler de la nécessité pour une organisation de contribuer aux logiciels libres qu'elle utilise. Nous avons souvent vu des élus montrer clairement qu'ils comprenaient l'urgence pour le secteur public de bâtir une expertise interne en TI, mais jamais avant M. Croteau on avait aussi clairement indiqué que cette expertise devait obligatoirement inclure une importante expertise en développement de logiciels libres. C'était aussi la première fois que dans la bouche d'un élu du peuple on entendait dire que les logiciels non libres sont, règle générale, désavantageux en raison des restrictions de leurs licences, restrictions assimilées à une forme de «menottage» dans lequel le menotteur est le propriétaire du logiciel et le menotté, bien sûr, l'utilisateur du logiciel[1].

De manière plus globale, au delà des mots de M. Croteau, nous applaudissons une politique qui, bien qu'elle vise initialement le rattrapage, s'inscrit dans le mouvement très actuel des administrations publiques du monde qui formalisent et documentent leur politique de contribution aux communautés de logiciels libres[2]. La Ville de Montréal ne le formule pas exactement ainsi, mais il s'agit bien, à ne pas s'y tromper, d'un exemple d'une politique par laquelle le secteur public cherche à contribuer directement à la protection, au soutien, au développement et à l'appropriation collective des communs numériques que sont les logiciels libres. Ces communs numériques, qui sont hors de la propriété privée d'un côté et de la propriété publique de l'autre, permettent d'inventer une nouvelle économie reposant sur des valeurs de liberté et de collaboration. La politique dévoilée le 15 mai parle déjà de «matériel libre» : il y a donc lieu d'espérer que la Ville de Montréal se dotera à terme d'une véritable politique publique favorable aux communs en général. S'agissant des communs numériques, cette politique pourrait notamment comporter des dispositions par lesquelles la Ville de Montréal favorise et soutien la contribution non seulement de son administration publique mais également de l'ensemble des Montréalais aux communautés de logiciel, de matériel, de savoir et de culture libres[3].

Mais redescendons sur Terre et revenons à la politique qui est devant nous aujourd'hui. Avons-nous quelques commentaires critiques à formuler à son endroit ? Oui, nous en avons en effet à soumettre à la Ville de Montréal et nous les avons réunis dans la section «Point par point» ci-bas.

Aussi, FACiL ayant pour mission l'appropriation collective de l'informatique libre par les Québécois, nous sommes particulièrement intéressés à savoir si l'application de cette politique au cours des prochaines années aura bel et bien pour effet d'accroître l'utilisation et le développement des logiciels libres par la Ville de Montréal et plus généralement par le secteur public municipal. Pour être en mesure d'effectuer un bon suivi du progrès de l'informatique libre au sein de l'administration publique montréalaise, nous aurons besoin de données sur différents objets qui nous permettront de répondre aux questions élémentaires suivantes :

  • Quelle place occupent les logiciels libres dans l'ensemble des logiciels utilisés et développés par la Ville de Montréal ?
  • Combien payons-nous collectivement pour l'utilisation des logiciels installés sur les appareils numériques de la Ville de Montréal (en distinguant le logiciel libre du logiciel non libre) ?
  • Quelles sont les contributions de la Ville de Montréal aux communautés de logiciels libres qu'elle utilise ?

Au cours des années à venir FACiL tâchera de collaborera directement avec le Bureau de la Ville intelligente et numérique (BVIN) de Montréal pour que des données utiles non seulement à FACiL, mais également au public en général, aux élus, aux fonctionnaires et aux entreprises, soient libérées dans les règles de l'art. À l'aide d'indicateurs de mesure (encore à définir) et d'outils de visualisation nourris de données de qualité (encore à produire), il devrait être possible d'arriver à des résultats satisfaisants pour tous les acteurs.

Point par point

Définitions

Il y a lieu de réécrire les définitions de manière à se rapprocher des définitions formelles ou courantes (et traductions françaises les plus recommandées) des termes «licence libre», «logiciel libre», «matériel libre». Le cas de «publication libre» (anglais: «Open source publication») est plus compliqué car il n'y a pas à ma connaissance de définition formelle de ce terme qui par ailleurs est ambigu et devrait sans doute être complètement remplacé un autre.

Orientations

L'expression «menottage contractuel» pour traduire «vendor lock-in» semble être un néologisme propre à la Ville de Montréal. Le problème avec cette traduction est qu'elle est très proche du «menottage numérique» qui traduit, dans le mouvement du logiciel libre, l'expression anglaise «digital handcuffs» promue pour la Free Software Foundation pour parler de ce que l'industrie nomme Digital Rights Management (DRM) et qui est généralement traduit par «gestion numérique des droits». Les traductions françaises les plus courantes de «vendor lock-in» sont plutôt «dépendance envers un seul fournisseur», «verrouillage propriétaire», «enfermement propriétaire», etc.

Principes directeurs (1)

L'expression «tous les remplacements ou développements de logiciels et de matériel» embrasse-t-elle vraiment tous les cas ? Si oui, alors rien à rajouter. Cela dit, si la Ville utile déjà un système libre et qu'elle fait appel au secteur privé pour sélectionner une fournisseur qui l'aidera à mettre à jour ce même système à une nouvelle version, ou à étendre ses fonctionnalités par exemple via des extensions, est-ce une «remplacement» ? De prime abord il me semble que non. Or, il est souhaitable que la politique embrasse ces cas qui seront courants.

Principes directeurs (2)

L'expression «besoins d'affaires» (anglais : «business needs») est curieuse dans le contexte de l'administration publique. Il est vrai qu'on peut parler de l'administration des «affaires publiques» («public affairs»), mais l'on peut difficilement dire «besoins d'affaires publiques» en français. En conséquence, il est plus simple de parler des «besoins des utilisateurs». Ce choix serait particulièrement pertinent puisque la Ville de Montréal s'engage en ce moment dans la voie de la conception de logiciel centrée sur les utilisateurs («user-centered design»).

Exceptions pour la publication de logiciels et du matériel libres

Les deux premiers des trois motifs invoqués pour justifier les exceptions («pour protéger la vie privée, les libertés civiles ou l'application de lois») sont incompréhensibles. Il y a lieu de revoir les deux premiers motifs qui sont en fait souvent les principaux motifs de vouloir rendre public, sous licence libre, les logiciels utilisés par la population. Pour ce qui est du troisième motif, il y a lieu de préciser de quelles lois il s'agit pour éviter qu'on l'invoque à tort et à travers pour contourner l'esprit ou la lettre de la politique.

Les raisons légitimes de ne pas rendre public le code source des logiciels libres sont typiquement liées au droit d'auteur, à la nature non réutilisable du code ou au manque de ressource interne. En effet, pour publier le code source sous une licence licence libre et ultimement le placer dans un dépôt public il faut être l'auteur ou du moins l'ayant droit de tout le code publié. Le code source de certains logiciels peut être trop spécifique et pas assez générique pour imaginer qu'il puisse y avoir un intérêt à le réutiliser[4]. Le manque de ressource interne peut mener à du code mal ou pas encore documenté qu'on ose pas montrer au public ou sinon à du code «présentable», mais pour lequel on n'est pas en mesure d'affecter une personne qui sera responsable d'interagir avec la communauté.

Encadrements

La «Directive de contribution à un projet libre existant» traite bien de la question des licences en prescrivant tout simplement le respect des licences déjà choisies par les responsables des projets en question.

La «Directive sur la publication et le maintien d’un projet Ville en libre» ne traite par contre pas bien de la question des licences.

Code. Pour le code, elle prescrit l'emploi exclusif de la licence libre MIT, c'est-à-dire une licence sans réciprocité. Ce qu'il est recommandé de faire pour une administration publique en matière de choix de licences est très bien expliqué par le juriste Stefano Gentile du Centre commun de recherche de la Commission européenne dans la présentation qu'il livrait à Libsonne en mars 2017 dans le cadre de la Sharing & Reuse Conference 2017[5][6]. Grosso modo, les licences sans réciprocité et les licences avec réciprocité («copyleft») ont des objectifs spécifiques et il est important de comprendre les cas (et les types de logiciels) où les unes sont préférables aux autres. Les motifs le plus souvent invoqués pour «standardiser» sur une licence sans réciprocité pour tous les logiciels utilisés (maximiser les cas de réutilisation et éviter l'enfer des incompatibilités de licences) sont compréhensibles, mais ils ne sont pas bien fondés. Il est possible de garder la complexité de la gestion des licences à un niveau raisonnable sans rejeter d'emblée toutes les licences à réciprocité, qui présentent de nombreux avantages pour le bien commun en plus de potentiellement ouvrir la porte à des sources de revenus supplémentaires pour la Ville de Montréal.

Données. La licence de données prescrite par la directive de la Ville (ODbL) est une licence à réciprocité. Bien que nous n'ayons pas d'objection particulière envers cette licence, il assez curieux que la licence de données «officielle» de la Ville[7], la Creative Commons BY 4.0 (une licence sans réciprocité) ne soit pas une option.

Image et documentation. La directive indique que «les images et la documentation» seront sous «une des licences Creative Commons». Il est très important ici de préciser de quelles licences Creative Commons et de quelles versions on parle. Les versions les plus récentes (4.0) sont généralement recommandables et les licences qui comportent les conditions NC et ND ne sont en général pas recommandables pour les images et la documentation des logiciels. Il vaudrait mieux dans ce contexte préciser l'utilisation des licences CC BY-SA 4.0 et CC BY 4.0.

Choix de GitHub.com, plateforme non libre

Le choix de GitHub.com comme forge est contestable du fait qu'il s'agit d'une plateforme non libre dont le modèles d'affaires entraîne la captivité des utilisateurs et la centralisation d'Internet au même titre que toutes les autres plateformes du même type. Il est assez paradoxal dans une Politique sur l'utilisation et le développement des logiciels et du matériel libres de négliger ce fait. Nous comprenons bien sûr l'attrait de la plateforme : le grand nombre d'utilisateurs, la visibilité que l'on s'imagine qu'elle apportera aux projets qu'elle héberge, etc. La bonne nouvelle c'est que contrairement à d'autres plateformes non libres, il est relativement aisé d'en sortir du fait qu'elle repose sur git, un logiciel libre très utilisé par les développeurs du monde entier. On peut donc migrer dans et hors de github.com beaucoup plus facilement que dans et hors de Windows pour donner une exemple extrême.

Ce qu'il est possible et recommandé de faire c'est de ne pas imposer de plateforme dans la politique de la Ville de Montréal, comme le fait notamment la Politique de contribution aux logiciels libres de l'État de la DINSIC (France).

Notes et références

  1. Ceux et celles qui ne seraient pas encore convaincus des conséquences négatives d'utiliser des logiciels qui ont des propriétaires sont invités à visionner l'enquête The Microsoft Dilemma. Is Europe Being Colonized by Software? (2018) produite initialement en allemand et disponible en traduction anglaise [1].
  2. Voir notamment le Royaume-Uni[2], les États-Unis[3], la France[4], le Canada[5].
  3. Il y a d'importants défis à relever en suivant cette troisième voie, notamment pour les communs que sont les données libres et ouvertes. Voir à ce sujet notre article « Données ouvertes : comment développer et protéger ces nouveaux communs ? »[6]
  4. Cela dit, l'expérience a montré que du code qu'on pensait au départ de peu d'intérêt pour les autres peut se retrouver très prisé pour des motifs insoupçonnés. Il faut donc être prudent ici de ne pas garder pour nous un peu n'importe quoi. Même si le code n'est jamais réutilisé, il peut être lu par d'autres qui s'en inspireront ou qui nous rapporteront des bogues et même des ajouts, des correctifs et des suggestions utiles.
  5. https://joinup.ec.europa.eu/sites/default/files/event/attachment/presentation_gentile.pdf
  6. https://youtu.be/xlgThYuxIBU
  7. http://donnees.ville.montreal.qc.ca/portail/licence/