Méga demande d'accès à l'information du 21 février 2014

Ce document présente les résultats et les conclusions de la méga demande d'accès à l'information effectuée par FACIL le 20 février 2014 et annoncée le jour suivant, à la veille de la Journée internationale des données ouvertes[1].

La démarche

Au cours des dernières années, divers gestes politiques ont été posés par le gouvernement québecois en faveur de l'informatique libre. En 2011 il y a eu l'adoption de la Loi sur la gouvernance et la gestion des ressources informationnelles des organismes publics et des entreprises du gouvernement[2], qui a introduit le concept de «pérennité du patrimoine numérique gouvernemental» et fait en sorte que les organismes publics soient tenus de considérer les logiciels libres «au même titre que les autres logiciels». En juin 2012, un portail des données ouvertes était lancé et le gouvernement s'engageait formellement par voie de déclaration «à devenir un gouvernement ouvert en encourageant davantage la transparence, la participation des citoyens et la collaboration entre les acteurs gouvernementaux»[3]. En mars-avril 2013, un Centre d’expertise en logiciel libre (CELL) était créé au sein du Centre de services partagés du Québec afin de permettre au gouvernement du Québec «de développer son expertise du logiciel libre et d’en intensifier l’utilisation au sein des organismes publics[4]». En septembre 2013, l'Assemblée nationale du Québec soulignait la Journée internationale du logiciel libre et saluait unanimement «toute initiative en vue de l’édition et de la diffusion de logiciels libres au Québec» et encourageait le gouvernement «à poursuivre ses efforts pour promouvoir l’utilisation du logiciel libre au sein de l’administration publique»[5].

Plus de deux ans après la réforme de la gouvernance et de la gestion des ressources informationnelles, FACIL souhaitait pouvoir mesurer le progrès de l'informatique libre au sein des organismes publics et entreprises du gouvernement.

Pour débuter le laborieux travail de collecte de toutes les informations qui seront utiles pour cartographier l'état des ressources informationnelles de nos organismes publics et mesurer la place qu'on réserve aux logiciels libres dans l'ensemble, nous avons envoyé la demande suivante à tous les ministères québécois ainsi qu'au Centre de services partagés[6] :

Bonjour,

En vertu de l'article 9 de la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, je désire obtenir copie de tous les «bilans annuels» et «bilans de projets» que votre ministère doit produire, et que les organismes publics et entreprises du gouvernement qui relèvent de votre ministère doivent également produire, en vertu de la Loi sur la gouvernance et la gestion des ressources informationnelles des organismes publics et des entreprises du gouvernement, en vigueur depuis juillet 2011.

Vous en remerciant à l’avance, je vous prie d’agréer mes salutations distinguées.

[SIGNATURE]

D'autres demandes d'accès à l'information sont prévues dans les prochains mois.

Les résultats

Les réponses obtenues[7] ont été compilées dans le tableau suivant :

Organisme Communications Documents Notes
Ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie - 24 février : Accusé de réception
- 6 mars : «les documents dont vous demandez l'accès sont inexistants»
- 24 mars : invite à visiter tableaudebordprojetsri.gouv.qc.ca
AUCUN Demande effectuée en ligne via JeVeuxSavoir.org
Ministère de la Santé et des Services sociaux - 24 février : accusé de réception
- 11 mars : délai supplémentaire
- 20 mars : accès aux documents
Bilan annuel des réalisations et bénéfices réalisés (BARRI) Demande effectuée en ligne via JeVeuxSavoir.org
Ministère de la Culture et des Communications - 25 février : accusé de réception
- 12 mars : délai supplémentaire
- 21 mars : accès aux documents
Bilan annuel des réalisations et bénéfices réalisés (BARRI) Demande effectuée en ligne via JeVeuxSavoir.org
Ministère du Développement durable, de l'Environnement, de la Faune et des Parcs - 21 février : accusé de réception
- 11 mars : délai supplémentaire
- 24 mars : accès aux documents
Bilan annuel des réalisations et bénéfices réalisés (BARRI) Demande effectuée en ligne via JeVeuxSavoir.org
Ministère des Transports - 27 février : accusé de réception
- 7 avril : accès aux documents
Bilan annuel des réalisations et bénéfices réalisés (BARRI) Demande effectuée en ligne via JeVeuxSavoir.org
Ministère de la Sécurité publique - 20 février : accusé de réception
- 20 février : accusé de réception (poste)
- 10 mars : accès aux documents
Bilan annuel des réalisations et bénéfices réalisés (BARRI)
Ministère de la Famille - 20 février : accusé de réception
- 24 février : accusé de réception (poste)
- 12 mars : délai supplémentaire
- 24 mars : accès aux documents
Bilan annuel des réalisations et bénéfices réalisés (BARRI)
Ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec - 20 février : accusé de réception
- 21 février : accusé de réception (poste)
- 14 mars : accès aux documents
bilan de projet : 13073
Ministère des Affaires municipales, des Régions et de l'Occupation du territoire - 20 février : accusé de réception
- 5 mars : accès aux documents
(renvoi aux rapports annuels de gestion du Ministère)
Ministère du Conseil exécutif - 20 février : accusé de réception
- 12 mars : accès aux documents
(renvoi aux rapports annuels de gestion du Ministère)
Ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport - 20 février : accusé de réception
- 21 février : accusé de réception (poste)
- 10 mars : délai supplémentaire
-
Ministère des Finances et de l'Économie - 20 février : accusé de réception
- 12 mars : délai supplémentaire
- 24 mars : «le MFEQ ne détient aucun document correspondant à votre demande»
AUCUN
Ministère des Relations internationales, de la Francophonie et du Commerce extérieur - 20 février : accusé de réception
- 21 février : accusé de réception (poste)
- 21 mars : «Le MRIFCE ne détient aucun document répondant à votre demande»
AUCUN
Ministère du Travail - 21 février : accusé de réception
- 5 mars : «le ministère du Travail n'a pas [...], effectué de réalisations ou de projets»
AUCUN
Ministère de la Justice - 24 février : accusé de réception
- 20 mars : accès aux documents
(extraits tirés de tableaudebordprojetsri.gouv.qc.ca)
Ministère des Ressources naturelles - 26 février : accusé de réception
- 12 mars : délai supplémentaire
- 24 mars : accès aux documents
Bilan annuel des réalisations et bénéfices réalisés (BARRI) et bilans de projets : SLRI, Cadastre 100% num., PAFI
Ministère de l'Immigration et des Communautés culturelles - 21 février : accusé de réception (poste)
- 7 mars : délai supplémentaire
- 19 mars : accès aux documents
Bilan annuel des réalisations et bénéfices réalisés (BARRI)
Ministère de l'Emploi et de la Solidarité sociale - 24 février : accusé de réception
- 12 mars : délai supplémentaire
- 24 mars : accès aux documents
Bilan annuel des réalisations et bénéfices réalisés (BARRI)
Centre de services partagés du Québec - 19 mars : accusé de réception
- 3 avril : délai supplémentaire
- 16 avril : accès aux documents
Bilan annuel des réalisations et bénéfices réalisés (BARRI) et bilans de projets Titre des projets :

1) Mise en place de la nouvelle infrastructure de bastions de l'ICPES
2) Solution tactique de prise de copies de sécurité au 425
3) Migration du logiciel Siebel 7.7 à la version courante - volet infrastructure Siebel Technologique
4) Remplacement des unités de stockage de la PFC (ITZA2955.04)
5) Solutions d'accès à distance
6) Virtualisation des serveurs du CTI 425 St-Amable
7) Mise en place des Services de relais et boîtes de courriels à la VPTI 147013188 / Relais de courriels (clients et systèmes) 147023188
8) Mise à niveau DB2
9) Gestion intégrée de l'impression et de l'imagerie
10) Renouvellement des librairies automatisées et virtuelles de la PFI et de la PFC ITZA2189.02 / ITZA2189.03
11) Outil d'exploitation de réseau
12) Migration des serveurs à VSphere 4
13) Migration au RTIM / Clients de la VPTI

Les conclusions

Voici les principales conclusions que nous avons tirées de l'exercice débuté à la fin de février 2014 et terminé à la mi-avril 2014.

1. L'INFORMATION OBTENUE EST INSUFFISANTE.

Les données contenues dans les documents dont nous avons obtenu copie ne permettent pas de voir si une nouvelle tendance se dessine relativement au logiciel libre depuis la réforme de la gouvernance et de la gestion de ressources informationnelles de 2011. Ce résultat était anticipé. En effet, nous croyons que les données qui seront les plus utiles afin d'évaluer la progression (ou la régression) du logiciel libre dans l'État n'existent pas encore et devront par conséquent être produites par l'administration[8]. On peut facilement imaginer plusieurs indicateurs comme le nombre de licences libres en utilisation par rapport aux licences de logiciel en général, le nombre de logiciels libres développés à l'interne, le nombre de contrats publics pour des services/solutions basés sur le logiciel libre, le nombre des migrations vers le logiciel libre, le montant des dépenses/investissements en logiciel libre de chaque organisme, etc.

Le travail est heureusement plus simple pour suivre le progrès de la libération des données d'intérêt public car il existe au moins un indicateur évident : le nombre de jeux de données publiés dans le portail donnees.gouv.qc.ca.

2. L'ACCÈS À DES MASSES D'INFORMATION EST INEFFICACE.

Il n'est pas vraiment possible d'utiliser la procédure de demande d'accès à l'information pour recueillir des données détenues par un grand nombre d'organismes publics en vue d'en faire le traitement informatique. Les délais sont prohibitifs (20 à 30 jours). Les responsables de l'accès à information d'un ministère ne sont pas autorisés à transmettre une demande aux organismes qui relèvent dudit ministère. Dans le cas des documents reçus par la poste, la chaîne de transmission de l'information (système informatique de l'État => impression sur papier => livraison par la poste => re-numérisation page par page => publication sur Internet) est le comble de l'inefficacité. Dans le cas des documents numériques reçus, le format des fichiers (PDF) rend la reconnaissance automatique des caractères difficile voire impossible.

Ces importantes limites de la procédure d'accès à l'information rendent évident la nécessité des politiques de libération des données publiques et de divulgation proactive et systématique des documents. L'on ne devrait être dans l'obligation de recourir à une demande d'accès à l'information que pour avoir accès à des documents sensibles ou des renseignements de nature personnelle sur soi-même.

3. JEVEUXSAVOIR.ORG DEVRAIT ÊTRE OFFERT PAR DÉFAUT.

L'utilisation du service en ligne JeVeuxSavoir.org améliore considérablement la rapidité et l'efficacité des demandes d'accès aux documents. Le service devrait le plus rapidement possible être étendu à l'ensemble des organismes assujettis à la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels[9]. Les citoyens utilisant ce service devraient pouvoir exiger de recevoir les documents dans des formats ouverts.

4. LE SCT DEVRAIT PUBLIER LES DOCUMENTS CHAQUE ANNÉE.

Les documents demandés par FACIL devraient être publiés et disponibles en formats libres dans des délais raisonnables, sans devoir faire appel à des demandes d'accès à l'information. En septembre 2013, nous demandions au Secrétariat du Conseil du trésor de publier en accès libre «tous les documents (planification triennale, bilan annuel, etc.) que les DRI, DSI et le DPI doivent produire depuis juillet 2011 en vertu de la Loi sur la gouvernance et la gestion des ressources informationnelles des organismes publics et des entreprises du gouvernement»[10]. Nous avions suggéré que ces documents soit intégrés au Tableau de bord sur l’état de santé des projets en RI. Nous croyons que cette demande est plus pertinente que jamais. Cela éviterait entre autres à FACIL de devoir refaire la même demande d'accès à l'information chaque année.

5. LES RÉPONSES OBTENUES NE SONT PAS UNIFORMES.

Nous constatons, comme le journaliste Fabien Deglise du Devoir, que «l’accès à l’information n’est pas appliqué également par tous les organismes publics»[11]. Comme le montre le tableau des résultats, certains ministères ne nous ont pas donné les documents demandés.

6 L'ÉTAT QUÉBÉCOIS N'EST PAS OUVERT.

Comme la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, nous souhaitons vivement voir se réaliser au Québec une véritable transparence de l'État[12]. La promesse de «gouvernement ouvert» de juin 2012 est loin d'être réalisée et il reste encore beaucoup de verrous à faire sauter pour libérer l'information et l'informatique publiques.

Nous croyons qu'il est important que le nouveau gouvernement québécois comprenne bien :

a) que l'ouverture des données d'intérêt public, l'ouverture du code source des logiciels de l'administration, la divulgation proactive des documents, en libre accès et dans des formats ouverts, sont tous des éléments essentiels et nécessaires pour réaliser la promesse de transparence, de participation et de collaboration du «gouvernement ouvert»;

b) que ces éléments essentiels et nécessaires doivent être au cœur d'une stratégie numérique globale qui tiendra compte, comme le mentionne le manifeste Pour un Québec numérique libre et ouvert de mars 2014, des grands enjeux de société soulevés par le numérique au 21e siècle, soit «l’accès universel à Internet haut débit, la protection de la vie privée et autres droits fondamentaux, l’amélioration de la transparence et de l’imputabilité des institutions publiques, la réduction du fossé numérique entre riches et pauvres, la participation citoyenne et les rapports entre l’État et la société civile dans la démocratie numérique, la pérennité de notre patrimoine numérique, le développement des compétences numériques de tous, le partage des richesses de la nouvelle économie, l’indépendance technologique du Québec, etc. »[13];

Notes

  1. «FACIL effectue une méga demande d'accès à l'information», facil.qc.ca, 21 février 2014, consulté le 21 avril 2014.
  2. «Loi sur la gouvernance et la gestion des ressources informationnelles des organismes publics et des entreprises du gouvernement, RLRQ c G-1.03», canlii.org, consulté le 21 avril 2014.
  3. «Déclaration du gouvernement du Québec», donnees.gouv.qc.ca, consulté le 21 avril 2014.
  4. «Le logiciel libre est une option incontournable pour le gouvernement du Québec», tresor.gouv.qc.ca, 18 mars 2013, consulté le 21 avril 2014.
  5. «Souligner la Journée du logiciel libre - Journal des débats de l'Assemblée nationale - 40e législature, 1re session (30 octobre 2012 au 5 mars 2014)», assnat.qc.ca, 24 septembre 2013, consulté le 21 avril 2014.
  6. La demande envoyée le 17 mars 2014 au Centre de services partagés était légèrement différente puisqu'il ne s'agit pas d'un ministère.
  7. En date du 21 avril 2014, nous sommes toujours dans l'attente d'une réponse du Ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport.
  8. La meilleure façon de procéder serait probablement de reproduire au Québec la démarche de la députée française Isabelle Attard. Voir «37 questions écrites de Mme Isabelle Attard sur l'application de la circulaire Ayrault sur le bon usage des logiciels libres dans les administrations», april.org, 28 mai 2013, consulté le 21 avril 2014.
  9. «Répertoire des organismes assujettis et des responsables de l'accès aux documents des organismes publics et de la protection des renseignements personnels», cai.gouv.qc.ca, 22 avril 2014, consulté le 25 avril 2014.
  10. «Bilan des actions du gouvernement du Québec en matière d'informatique libre», wiki.facil.qc.ca, septembre 2013, consulté le 21 avril 2014.
  11. «Transparence à géométrie variable. L’accès à l’information n’est pas appliqué également par tous les organismes publics», ledevoir.com, 27 mars 2014, consulté le 21 avril 2014.
  12. «FPJQ : Pour un Québec transparent - manifeste électoral», facil.qc.ca, 27 mars 2014, consulté le 21 avril 2014.
  13. «Pour un Québec numérique libre et ouvert», notreavenirnumerique.net, consulté le 21 avril 2014.