Commentaires sur le Plan d'action pour l'accessibilité et le partage des données ouvertes des ministères et des organismes publics

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Commentaires critiques de FACiL sur le Plan d'action pour l'accessibilité et le partage des données ouvertes des ministères et des organismes publics (web, pdf) du Québec publié en juin 2018.

Perspective globale sur le plan

Six ans après la mise en ligne de la première version de son portail de données ouvertes en 2012, le gouvernement du Québec propose son premier plan d'action sur deux ans (2018-2020) conforme aux recommandations du Partenariat pour un gouvernement ouvert (PGO). Pendant ce temps, l'État fédéral canadien en est déjà à élaborer son quatrième plan d'action sur deux ans. L'initiative de «gouvernement ouvert» du Québec sera-t-elle enfin une priorité ? Ce plan d'action signale-t-il le début d'un changement ? Nous ne le savons pas, mais nous le souhaitons.

Globalement, ce plan semble malheureusement confirmer que le Québec se contente d'être à la traîne : ce sont d'autres gouvernements dans le monde qui montrent la voie, qui font preuve d'audace et qui agissent en pionniers.

Nous remarquons avec regrets que la démarche du gouvernement semble porter exclusivement sur les données ouvertes alors qu'elle devrait porter sur les données, les documents et tout ce que l'on peut légitimement mettre sous le vocable d'«information numérique». Le gouvernement donne pourtant la définition suivante de la «transparence» (le premier de quatre volets du gouvernement ouvert selon son interprétation) à la page 1 du plan d'action : «La transparence, qui concerne la diffusion proactive aussi bien de documents que de données en format ouvert, pouvant être réutilisés par la population.».

En effet, dans l'esprit du gouvernement ouvert (ou plus généralement encore de la «démocratie ouverte»), il n'y a pas lieu de traiter séparément l'ouverture des données, de la divulgation proactive de documents ou du système de demande d'accès à l'information. Malgré cela, le gouvernement du Québec se propose d'«ouvrir par défaut» ses jeux de données, mais continuera semble-t-il à opérer son système archaïque d'accès aux documents, que nous avons eu l'occasion de critiquer fortement après en avoir testé les limites une première fois en 2014[1][2].

Le service en ligne JeVeuxSavoir.org[3] basé sur le logiciel libre Alaveteli[4] et mis en production par le gouvernement du Québec grâce à un partenariat avec Nord Ouvert[5][6], constituait pourtant un net progrès vers la transparence et nous démontre que la vision du gouvernement ouvert à Québec a déjà tenu compte de l'information numérique en général et pas simplement des bases de données. Le soutien au service en ligne JeVeuxSavoir.org a malheureusement été abandonné sans explication après un projet-pilote de six mois (octobre 2013 à mars 2014), qui selon nous était pourtant très concluant.

Point par point

A. Redonner les données publiques aux citoyens

Engagement 1: Ouvrir les données par défaut

La libération par défaut des données d'intérêt public est un bon engagement : Québec Ouvert avait recommandé de procéder de la sorte dans son mémoire de 2013 déposé à l'occasion de la consultation générale et des auditions publiques sur le rapport quinquennal de la Commission d'accès à l'information (CAI) et FACiL avait publiquement appuyé ce mémoire[7].

Cependant, le plan d'action semble restreindre cette exigence aux seuls jeux de données, alors qu'il est souhaitable que ce soit l'information en général qui soit librement accessible et réutilisable. FACiL avait insisté là-dessus dans son mémoire de 2015 présenté dans le cadre de la consultation générale et des auditions publiques sur le document intitulé Orientations gouvernementales pour un gouvernement plus transparent, dans le respect du droit à la vie privée et la protection des renseignements personnels. Nous avions alors évoqué le besoin d'un portail de documents aux côtés du portail de données et nous avions montré quelques exemples d'État du monde qui font mieux que le Québec en la matière[8].

Engagement 2: Créer un pôle d’expertise en données ouvertes

Une expertise interne en données ouvertes est certainement à développer, mais quelle est la meilleure façon d'y parvenir ?

Nous suggérons une approche transversale qui aura des effets à long terme en finançant la production de formations en ligne ouvertes à tous[9] et de ressources éducatives libres (REL) qui seront disponibles via le portail fédérateur des ressources numériques de l'enseignement supérieur québécois dont parle le Plan d'action numérique en éducation et en enseignement supérieur déposé en mai 2018. En procédant de la sorte, l'administration publique pourra former son personnel, recruter de nouveaux talents et en faire profiter toute la société québécoise (dont les administrations publiques municipales) et même la francophonie dans son ensemble.

B. Innover avec les données ouvertes

Engagement 3: Engager les citoyens dans le développement d’applications en organisant des hackathons

Bien qu'il est souhaitable que Données Québec et ses partenaires organisent un grand hackathon annuel avec remises de prix, il serait dommage d'en faire l'unique engagement du Québec visant à «engager les citoyens dans le développement d'applications».

Il serait préférable de soutenir plusieurs actions dans un processus continu et itératif, processus dans lequel le hackathon annuel serait un moment important, mais pas le seul. Par ailleurs, il y a de bonnes raisons de souhaiter que les citoyens soient impliqués non seulement dans le développement de nouvelles applications «innovantes» exploitant des données réutilisables, mais aussi a) dans l'amélioration des applications et des services déjà en production et b) dans l'amélioration de la qualité et de la richesse des jeux de données disponibles.

Engagement 4: Stimuler le développement économique par les données ouvertes

La notion de «développement économique» utilisée dans cet engagement est très limitative. Elle ne permet pas vraiment de discuter d'actions portant sur la valeur d'usage des données et sur leur réutilisation marchande ou non marchande dans le cadre du paradigme des communs numériques. Intentionnellement ou pas, en choisissant de standardiser sur les licences Creative Commons, le gouvernement du Québec s'est inséré dans le mouvement international du même nom qui, comme nous le soulignions dans un texte publié le 3 mars 2018 à l'occasion de la Journée internationale des données ouvertes, «cherche explicitement une troisième voie, hors de la propriété privée d'un côté et de la propriété publique de l'autre, pour inventer une nouvelle économie des communs numériques[10]».

Il importe que l'État québécois ne soutienne pas uniquement ou même principalement les entreprises, petites ou grandes, qui ont des modèles d'affaires par lesquels la richesse tirée des données ouvertes se trouve «captée en dehors de l'économie collaborative des communs et pour le profit du plus petit nombre».

Le défi véritable du Québec, comme de toutes les autres sociétés de la planète, va bien au-delà du simple souci de «stimuler le développement économique» et «d'innover» par les données ouvertes : il s'agit de «faire émerger [une] économie des communs dans laquelle nous serons individuellement et collectivement maîtres de nos données ouvertes (et autres communs), afin de toujours rester maîtres de nos vies».

Les Québécois doivent prendre part à ce vaste chantier de réflexion et d'action comme partout ailleurs dans le monde.

Engagement 5: Offrir des données de qualité et interopérables pour faciliter la réutilisation

Les besoins sont beaucoup plus grands que la simple mise à jour des Lignes directrices sur la diffusion de données ouvertes.

Ce ne sont très certainement pas que les employés de l'État qui souhaitent le développement de «pratiques qui pourraient être communes quant au processus d'anonymisation, à l'utilisation des interfaces de programmation applicative (API), à la gestion des historiques, à la bonification des métadonnées et à la gestion de formats propres à certains domaines d'expertise».

En 2015, FACiL recommandait au gouvernement de «planifier dès maintenant la transition vers une mise à disposition en temps réel, via des interfaces de programmation, de données ouvertes et interreliées»[11]. Cette recommandation est toujours valable aujourd'hui.

Plus que jamais, nous croyons que la réutilisation massive des données d'intérêt public gérées par nos institutions publiques passe par le web des données interreliées et sémantiques. Une expertise spéciale doit être développée pour l'adoption des normes et standards internationaux en la matière, notamment ceux qui tiennent compte de la réalité multilingue de la planète.

C. Impliquer les citoyens dans les affaires publiques

Engagement 6: Faciliter la participation publique à l’aide d’outils numériques

Il est souhaitable de normaliser les processus de participation du public dans l'élaboration de nos politiques. Il n'y a pas que le gouvernement du Québec qui est concerné : il y a aussi tous les organismes publics et l'Assemblée nationale.

Nous recommandons de réaliser le projet pilote de consultation publique à l'aide du logiciel libre DemocracyOS[12], qui a déjà fait ses preuves dans plusieurs endroits du monde. Notons qu'il serait relativement aisé de produire un logiciel comparable. Donc, si le gouvernement devait plutôt choisir de développer un logiciel sur mesure pour ses propres besoins, nous recommandons qu'il soit construit avec des logiciels libres et rendu public sous une licence libre à réciprocité.

Engagement 7: Assurer l’inclusion sociale en améliorant l’accessibilité des sites Web

Atteindre la conformité AA pour la norme WCAG 2.0 qui remonte à 2008 est vraiment le minimum qui peut être fait ici, gouvernement ouvert ou pas.

Beaucoup plus devra être fait pour «assurer l'inclusion sociale» que de se conformer à une norme du W3C sur l'accessibilité. Le Québec doit mener des actions importantes pour faire en sorte que se résorbe le fossé numérique entre les riches et les pauvres, les urbains et les ruraux, les hommes et les femmes, les minorités et la majorité, etc.

D. Développer une culture de collaboration

Engagement 8: Diffuser des données à fort potentiel de réutilisation

Pour FACiL, la priorité des priorités doit être la libération des «données qui interviennent dans les processus décisionnels (parlement, gouvernement, etc.) de même que dans l'octroi et la gestion des marchés publics[13]». Cela est selon nous nécessaire pour résoudre la grave crise de confiance des citoyens et citoyennes envers leurs institutions.

Des bénévoles de FACiL on travaillé à produire des évaluations a) du SEAO du Québec d'après les Directives sur l'ouverture des données des marchés publics de la Sunlight Foundation[14] et b) de la divulgation de l'information sur le lobbyisme au Québec d'après les directives de la Sunlight Foundation sur le sujet[15].

Engagement 9: Accueillir plus de partenaires sur Données Québec

Cet engagement est très bon puisqu'il consiste à mutualiser et à se fédérer autour d'une ressource partagée (autrement dit, un bien commun) qui a pour nom CKAN, un logiciel libre publié sous la licence libre à réciprocité AGPL version 3. L'instance de CKAN de Données Québec est par ailleurs arrimée à WordPress, un autre logiciel libre publié sous une licence libre à réciprocité, la GPL version 2 ou supérieure.

La prochaine étape du gouvernement du Québec devrait naturellement être de penser à contribuer en retour, pourquoi pas dans le cadre d'une politique formelle de contribution aux logiciels libres utilisés de manière importante par l'administration publique québécoise.

Engagement 10: Promouvoir l’action québécoise en gouvernement ouvert au Canada et à l’international

Nous avons déjà recommandé au Québec de rejoindre le Partenariat pour un gouvernement ouvert (PGO) à titre d'État fédéré, alors nous ne pouvons qu'être d'accord avec cet engagement.

Notes et références

  1. «FACIL effectue une méga demande d'accès à l'information», facil.qc.ca, 21 février 2014.
  2. «Méga demande d'accès à l'information de FACIL : conclusions de la phase 2», facil.qc.ca, 9 décembre, 2014.
  3. https://web.archive.org/web/20150323191842/http://www.jeveuxsavoir.org/
  4. Le logiciel libre Alaveteli, développé par l'OSBL mySociety et publié sous la licence libre AGPL version 3, est pourtant déployé pour faire fonctionner le service WhatDoTheyKnow du Royaume-Uni. Au moment d'écrire ces lignes, il permet d'accéder aux résultats de 485 870 requêtes d'accès à l'information effectuées auprès de 23 304 autorités publiques !
  5. «Partenariat avec Nord Ouvert pour le site jeveuxsavoir.org», institutions-democratiques.gouv.qc.ca, 15 octobre 2013.
  6. «Lancement de JeVeuxSavoir.org et d’un infothon le 30 novembre», nordouvert.ca, 22 novembre 2013.
  7. «Auditions de la CAI : FACIL appuie le mémoire de Québec Ouvert», facil.qc.ca, 11 avril 2013.
  8. L'informatique libre pour une vraie transparence, 2015, p. 5-7.
  9. L'anglicisme Massive Open Online Course (MOOC) et les mauvaises traductions françaises de ce terme que sont «cours massif en ligne» ou «cours en ligne ouvert et massif» sont à déconseiller. Voir l'article «cours en ligne ouvert à tous», granddictionnaire.com, consulté le 19 juillet 2018.
  10. «Données ouvertes : comment développer et protéger ces nouveaux communs ?», facil.qc.ca, 3 mars, 2018.
  11. L'informatique libre pour une vraie transparence, 2015, p. 4.
  12. http://democracyos.eu
  13. L'informatique libre pour une vraie transparence, 2015, p. 9-10.
  14. Évaluation du SEAO du Québec d'après les Directives sur l'ouverture des données des marchés publics de la Sunlight Foundation, 2013. Voir également la mise à jour de 2014 et celle de 2015.
  15. Évaluation de la divulgation de l'information sur le lobbyisme au Québec d'après les directives de la Sunlight Foundation, 2014. Voir également la mise à jour de 2015.