Élections fédérales canadiennes 2019 : enjeux et défis du numérique
À l'occasion des élections fédérales canadiennes de 2019, FACiL et le Café des savoirs libres s'efforceront de rassembler dans un même document les positions des partis politiques concernant les enjeux et les défis du numérique. En plus de fouiller dans les programmes, les plateformes et les autres documents officiels des partis politiques, une série de questions leur seront posées.
Enfin, une revue de presse réunissant les articles, reportages, chroniques, etc., touchant l'informatique libre et plus largement les questions du numérique dans le cadre des élections de 2019 sera produite.
Cette initiative et les préoccupations citoyennes qui sont reflétées dans les questions présupposent la convergence de la transition numérique et de la transition écologique abordées comme un seul et même projet.
Liste des questions
Question 01 : Que comptez-vous faire pour libérer et pérenniser durablement la documentation publique de l'État ?
Mise en contexte : À l’heure actuelle, la plupart des documents mis à disposition du public par nos organismes publics sont dispersés sur plusieurs sites, restreignent inutilement les libertés de leurs utilisateurs et utilisatrices, et les adresses de ces documents ne sont pas systématiquement permanentes : les liens sont régulièrement brisés pour des motifs aussi superficiels qu’une refonte de site web. Les recommandations 2 et 3 du mémoire intitulé L’informatique libre pour une vraie transparence (août 2015) précisent comment un gouvernement peut se doter d'un véritable portail de documents unifié, comme l’ont déjà fait dans une large mesure le Royaume-Uni, l’Australie, la France et plusieurs autres États.
Question 02 : Que comptez-vous faire pour protéger et valoriser les communs du domaine public canadien ?
Mise en contexte : Jusqu’à ce jour, et suivant sa législation, le Canada appartient à la catégorie des pays dits «vie+50 ans» où les droits expirent 50 ans après la mort de l’auteur(e). Selon les dispositions du nouvel accord commercial Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM), le Canada devrait bientôt rejoindre la catégorie des pays «vie+70 ans». Cette situation est susceptible de compromettre l’équilibre du droit d’auteur au Canada au détriment des communs du domaine public et des usages qui favorisent la vitalité culturelle et l'innovation. Le projet de loi C-100 suggère même une extension qui atteindrait 75 ans pour certains types d'oeuvres. L'examen parlementaire de la loi sur le droit d'auteur par le Comité permanent de l’industrie, des sciences et de la technologie (INDU) a suggéré que cette disposition («vie+70 ans») soit accordée « à la demande » de manière à préserver par défaut les conditions dont bénéficiaient les Canadiens et les Canadiennes jusqu'à maintenant. Cette proposition alternative a été accueillie favorablement par certaines organisations éducatives et culturelles, comme la Fédération canadienne des associations de bibliothèques ⏤ qui étaient préoccupées par ce recul au plan des capacités éducatives et culturelles, voire économiques, des usagers, usagères, créateurs et créatrices du Canada :
- Est-ce que votre parti entend maintenir les conditions actuelles du domaine public («vie+50 ans») sans prolonger la durée du droit d'auteur canadien?
- Est-ce que votre parti entend soutenir les actions des institutions de mémoire canadiennes (bibliothèques, archives, musées, etc.) visant à favoriser l'accès et la valorisation des communs du domaine public (que ce soit par la numérisation, par des projets de données ouvertes et liées, etc.)?
Question 03 : Que comptez-vous faire pour défendre et promouvoir la souveraineté numérique du Canada ?
Mise en contexte : Le gouvernement devrait favoriser les conditions propices à l'exercice de la souveraineté numérique du Canada. Si l’on pense principalement à la protection des renseignements personnels des citoyens et citoyennes, l’État devrait au minimum:
- dépendre de logiciels qu'il est facile d'auditer;
- s’assurer de détenir la propriété des appareils (ex : serveurs, équipements réseaux) utilisés par l'État, qui opèrent le traitement de l’information (contrôle physique);
- conserver à l’interne l’expertise de la gestion, de l’administration, du développement et de l’opération de tous ses systèmes (contrôle logique et administratif);
- exiger que ses centres de données et autres serveurs soient majoritairement situés en sol canadien (contrôle législatif);
- collecter et conserver le moins de renseignements personnels possible au sujet des citoyens et des citoyennes;
Ces mesures sont loin d’épuiser le sujet de la souveraineté numérique, celui de la sécurité de l’information ou encore celui de la surveillance de masse des internautes. Nous nous bornons à rappeler que l’intérêt des individus comme celui des groupes, y compris celui de la collectivité canadienne dans son ensemble, est et sera toujours de demeurer autonome face à la technologie.
Question 04 : Que comptez-vous faire pour aider les citoyen(ne)s à reprendre le contrôle sur leurs données ?
Mise en contexte : En Europe, un nouveau Règlement général sur la protection des données (RGPD) est entré en vigueur le 25 mai 2018. En plus de rehausser les exigences légales des organismes qui traitent des données personnelles au niveau du consentement, de la sécurité et de la nécessité de la collecte, le RGPD crée un nouveau droit à la portabilité des données. L'objectif visé par ce droit est double : 1) aider les citoyens et les citoyennes à reprendre le contrôle sur leurs données et 2) stimuler la concurrence entre les responsables de traitement de données. Notons que le 28 juin dernier, les élus de la Californie votaient unanimement une série de règles comparables au RGPD, qui devrait entrer en vigueur dans cet état au 1er janvier 2020. Depuis, une cinquantaine d'entreprises issues de l'industrie numérique ont demandé à ce qu'une loi similaire soit votée au niveau fédéral.
Question 05 : Que comptez-vous faire pour protéger la vie privée des citoyen(ne)s dans la société numérique ?
Mise en contexte : La société numérique a donné lieu à la surveillance de masse opérée par les États et les géants du numérique à l'encontre des droits fondamentaux. Les dérives de cette surveillance nous ont été révélées notamment par les affaires Manning et Snowden aux États-Unis. Les droits étant par nature interdépendants, les actions qui menacent la vie privée sur Internet affectent négativement la liberté de conscience, d'opinion, d'expression et de réunion. Les Principes internationaux sur l’application des droits de l’homme à la surveillance des communications fournit par exemple un cadre pour évaluer si les lois et les pratiques des États sont cohérentes avec les droits de la personne humaine. Les deux idées maîtresses de la déclaration de principes sont «nécessité» et «proportionnalité». Pour respecter leurs engagements internationaux en matière de protection du droit à la vie privée, les États doivent entre autres prouver que la surveillance «constitue l’unique moyen d’atteindre un but légitime donné» et démontrer à une autorité judiciaire indépendante, impartiale et compétente, que les informations recueillies «se limiteront à ce qui est raisonnablement pertinent» et seront «consultées uniquement par l’autorité spécifiée et utilisées exclusivement aux fins pour lesquelles l’autorisation a été accordée».
Question 06 : Que comptez-vous faire pour favoriser la science ouverte ?
Mise en contexte : Le mouvement pour la science ouverte englobe les initiatives supportant l'accès ouvert aux publications scientifiques, la réutilisation des données et métadonnées de la recherche ⏤ à partir notamment du principe que le financement de la recherche est public. Plusieurs États soutiennent ce mouvement et élaborent des stratégies concrètes visant à redonner aux chercheurs et aux chercheuses le contrôle sur l'édition de leurs travaux afin qu'ils et elles puissent les redonner directement au public.
Question 07 : Que comptez-vous faire pour soutenir la production et la diffusion des ressources éducatives libres (REL) ?
Mise en contexte : Dans les mots de l’Unesco, les ressources éducatives libres, sont « des matériels d’enseignement, d’apprentissage et de recherche sur tout support, numérique ou autre, existant dans le domaine public ou publiés sous une licence ouverte permettant l’accès, l’utilisation, l’adaptation et la redistribution gratuits par d’autres, sans restrictions ou avec des restrictions limitées. Les licences ouvertes sont fondées dans le cadre existant du droit à la propriété intellectuelle, comme défini par les conventions internationales concernées, et respectent la paternité de l’œuvre ». En effet, depuis plusieurs années, l’Unesco et d'autres organisations internationales encouragent les États à produire et diffuser des REL.
Question 08 : Que comptez-vous faire pour combattre les inégalités dans l'accès, l'utilisation et la maîtrise de l'information et des technologies ?
Mise en contexte : Plusieurs inégalités sont visibles: celle des aînés par rapport aux plus jeunes, des hommes par rapports aux femmes, des résidents des milieux urbains par rapport aux résidents éloignés des centres, etc. On parle de fossé ou fracture numérique (angl. digital divide) pour décrire ces inégalités apparues avec l'expansion d'Internet dans les années 1990. Intimement lié aux questions de littératie, d'inclusion, de redistribution de la richesse, etc., cet enjeu illustre peut-être plus que tous les autres le caractère transversal de la transition numérique, qui requiert des actions globales et durables de la part d'une grande diversité d'acteurs et d'actrices de la société.
Question 09 : Que comptez-vous faire pour garantir une véritable application du principe de « neutralité du réseau » ?
Mise en contexte : Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes s'est par le passé exprimé à plusieurs reprises pour l'application générale du principe de « neutralité du réseau ». Celui-ci impose que les intermédiaires techniques à un service d'accès à Internet garantissent l'égalité de traitement à tout le trafic qu'il relaie. Pourtant dans la pratique, les fournisseurs d'accès les plus populaires fournissent des accès différenciés à leurs clients via notamment le bridage des vitesses de connexion. D'autres limitations arbitraires telles que la fermeture de ports réseaux empêche souvent une utilisation complète de sa connexion dans le cadre de l'hébergement à la maison de sites web ou de ses courriels. Dans un monde où les communications se centralisent sur des plateformes tels que des réseaux sociaux, la concentration d'un petit nombre d'acteurs qui deviendraient incontournables pourrait mettre en danger la stricte application de la liberté d'expression.
Question 10 : Que comptez-vous faire pour protéger, soutenir et développer les communs numériques ?
Mise en contexte : Comme le posait la « Déclaration des communs numériques », l'engagement actuel des communautés dans le libre partage des savoirs co-créés, sur le modèle des communaux, génèrent des opportunités, des solutions, des avenues prometteuses et plus justes pour aborder la transition numérique et écologique. Le domaine public, les logiciels libres, les projet wikimédiens, OpenStreet Map sont « des exemples de communs de la connaissance, de communs numériques, qui sont vitaux pour le travail, l’éducation, la science, la culture, la liberté d’expression aujourd’hui » dont les modèles et les retombées sont à protéger, soutenir et développer.
Question 11 : Vous engagez-vous à faire produire des données ouvertes de qualité permettant de mesurer le progrès de l'utilisation et du développement des logiciels libres dans le secteur public ?
Mise en contexte : Nous sommes particulièrement intéressés à savoir si au cours des prochaines années les politiques publiques relatives au logiciel libre auront bel et bien pour effet d'accroître l'utilisation et le développement des logiciels libres par l'administration publique et, plus généralement, par les secteurs public et parapublic. Pour être en mesure d'effectuer un bon suivi du progrès de l'informatique libre au sein de l'administration publique, nous aurons besoin de données sur différents objets qui nous permettront de répondre aux questions élémentaires suivantes :
- Quelle place occupent les logiciels libres dans l'ensemble des logiciels utilisés et développés par le secteur public ?
- Combien payons-nous collectivement pour l'utilisation des logiciels installés sur les appareils numériques du secteur public (en distinguant le logiciel libre du logiciel non libre) ?
- Quelles sont les contributions du secteur public canadien aux communautés de logiciels libres qu'il utilise ?
- À l'aide d'indicateurs de mesure adéquats et d'outils de visualisation exploitant de telles données, il devrait être possible d'arriver à des résultats satisfaisants pour les citoyens, les élus, les fonctionnaires et les entreprises.
Question 12 : Vous engagez-vous à soutenir les projets culturels qui reposent sur des modèles juridiques et économiques accordant plus de libertés au public dans le respect du droit d’auteur ?
Mise en contexte : Les modèles juridiques et économiques qui accordent plus de libertés aux usagers et usagères dans le cadre du droit d’auteur (licences GNU, Creative Commons, Art libre, etc.) n’ont pas fait l’objet d’une expérimentation systématique et d'une démarche pédagogique tant auprès des publics que des créateurs et des créatrices. Il y a lieu de soutenir les auteurs, les actrices et les autres membres du milieu de la culture qui voudraient lancer des projets pilotes dans ce domaine. Il est à noter que ce soutien, ne pourra être planifié comme un programme d’aide uniforme qui serait applicable à la production de tous les types d’œuvres de l’esprit: les modèles qui fonctionneront pour le livre ne sont pas forcément ceux du film, de la musique ou du théâtre. Une initiative gouvernementale de soutien et d’accompagnement de projets pilotes cansdiens intéresserait grandement la communauté internationale du libre partage de la culture et du savoir et pour cela pourrait impliquer directement Creative Commons, l’organisme de bienfaisance américain et son réseau international.