Internet au Canada : de la dérive au délire sécuritaire

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Note : texte d'opinion de Mathieu Gauthier-Pilote et Claude Coulombe soumis au quotidien montréalais Le Devoir le 12 février 2015, mais (malheureusement) non retenu.


Le 28 janvier dernier, la CBC et The Intercept nous apprenaient que le Canada espionne les internautes du monde entier dans le cadre d'un programme de sécurité nommé «Levitation», selon un document de 2012 rendu public grâce au citoyen américain Edward Snowden. Le document décrit le fonctionnement d'une technologie du Centre de la sécurité des télécommunications (CST) qui est capable d'analyser, quotidiennement, les activités de plusieurs millions de personnes, parfaitement innocentes, occupées à télécharger ou téléverser de la musique, des vidéos et d'autres documents sur l'un ou l'autre des 102 sites publics de partage de fichiers ciblés par le programme[1].

Pourtant, ni cette nouvelle explosive, ni non plus le sondage récent du Commissariat à la protection de la vie privée[2] qui indique que près de 8 personnes sur 10 au Canada se disent «très préoccupées» ou «relativement préoccupées» par la surveillance du gouvernement lorsque qu'elles songent «à l'information accessible en ligne [les] concernant», n'ont empêché le premier ministre Stephen Harper de déposer le projet de loi C-51, qui propose d'augmenter – exagérément et inutilement selon nous – les pouvoirs des agences fédérales de sécurité, notamment en matière de censure sur Internet[3].

Entraîné dans la dérive sécuritaire de l'après 11 septembre 2001, le Canada s'apprête maintenant à succomber à un véritable délire sécuritaire en adoptant un projet de loi qui est encore plus inacceptable et à contre-courant de l'opinion publique que tous les précédents projets de loi du gouvernement Harper sur le même sujet : C-13 et C-30 pour ne nommer que les plus récents.

Des réponses politiques comme technologiques sont nécessaires

Le gouvernement de Stephen Harper ne fait pas qu'ignorer les 8 personnes sur 10 au Canada qui se sentent préoccupées par la surveillance de masse exercée par leur propre gouvernement, il ignore savamment les solutions proposées depuis des années par tout ce qui existe d'experts et de militants des libertés et des droits fondamentaux, comme par exemple celles contenues de la Déclaration d'Ottawa sur la surveillance de masse au Canada[4] (mai 2014) ou les Principes internationaux sur l'application des droits de l'homme à la surveillance des communications[5] (juillet 2013). Il est proprement déplorable que les partis d'opposition à Ottawa ne soient pas tous unis contre le parti conservateur de Stephen Harper sur cet enjeu de première importance.

Par ailleurs, comme le signalait FACIL dans une lettre d'opinion au journal Le Devoir en février 2014[6], si des réponses politiques au problème de la surveillance de masse sont nécessaires, elles sont malheureusement insuffisantes et devront être accompagnées de réponses «technologiques». À ce niveau, nous croyons qu'il y a urgence d'agir et que les internautes du monde entier doivent dès maintenant se donner la capacité de protéger leurs données personnelles et les moyens de savoir ce que font leurs appareils numériques en adoptant les alternatives basées sur le logiciel libre, les réseaux décentralisés et la cryptographie.

Notes